Pour la défense du socialisme: en regard de la décision des autorités cubaines d’interdire les défilés

Photo credit: Al Jazeera/Google Images

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Par : Arnold August

Préambule de l’éditeur : Si Canada Files a choisi de publier cette analyse extrêmement pertinente sur les récents événements à Cuba malgré que cette question se situe un peu à l’écart de son mandat principal, c’est parce que certains médias « de gauche » au Canada et aux États‑Unis ont subtilement répandu des informations mensongères sur les développements des derniers mois à Cuba. Dans un avenir pas trop lointain, nous prévoyons publier un article de suivi sur ce sujet. Nous espérons que cette analyse permettra de clarifier les questions et les idées fausses que certaines personnes pourraient entretenir sur le sujet.

Dans le sillage des manifestations des 11 et 12 juillet, diverses personnalités et divers groupes d’opposition ayant participé à ces journées ont par la suite demandé la permission d’organiser des défilés prévus simultanément dans plusieurs villes de Cuba, le 15 novembre. Dans leur réponse, les autorités municipales locales, notamment la Vieille Havane, ont souligné que « l’article 56 de la Constitution [cubaine] – que l’on invoque comme fondement juridique [pour l’autorisation d’un tel défilé] – prévoit que le droit de manifester doit être basé sur la légalité et sur “le respect de l’ordre public et des règles établies par la loi” ».

En d’autres termes, dans le libellé de la demande d’autorisation publiée sur la page Facebook du groupe de débat Archiélago, soit la principale plateforme en appui à la deuxième phase de cette « révolution de couleur », les signataires invoquent l’article 56, mais ils n’y relèvent que « le droit de manifester pacifiquement ». Ils laissent ainsi en plan l’autre volet du même texte qui prévoit des limites en fonction du « respect de l’ordre public et des règles établies par la loi ». Quelle disposition législative cubaine les signataires cherchent-ils à éluder? La décision des autorités municipales se poursuit en ces termes : « L’article 4 de la Constitution stipule que le système socialiste entériné constitutionnellement est irrévocable; par conséquent toute action exercée contre lui est illicite. » [traduction]

Contraste entre les droits constitutionnels des États-Unis et de Cuba

À coups de déclarations teintées d’arrogance, les grands médias états-uniens, tout comme les personnes qui se sont vu refuser l’autorisation de manifester à Cuba, jettent les hauts cris en prétendant qu’il est inconcevable que le droit de manifester soit brimé pour la primauté du socialisme. Ils seraient donc outrés que ces droits soient limités d’une façon quelconque? Et pour quels motifs? Peut-on penser que leur libellé soit parfaitement imprégné des notions très états-uniennes de « liberté d’expression » et de « droit de se rassembler » dans l’abstract telles qu’elles figurent dans la Constitution des États‑Unis? La question mérite qu’on s’y arrête. Selon le premier amendement de la Constitution des États‑Unis :

« Le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de ses griefs. » 

Contrairement à la Constitution cubaine, la Constitution des États-Unis ne comporte aucune référence explicite à la protection du système capitaliste. D’aucuns diront que la référence est implicite, par exemple dans le fameux préambule : « Nous, le Peuple des États‑Unis, afin de former une Union plus parfaite, d’établir la justice, de faire régner la paix intérieure […] » En soi, cette allusion à la paix intérieure suppose-t-elle que rien ne saurait remettre en question ni bousculer le statu quo capitaliste? L’histoire des États-Unis nous donne à penser que c’est effectivement le cas, puisqu’elle est marquée par la répression systématique de toute velléité de soulèvement anticapitaliste ou anti-impérialiste de la part des nations autochtones, des Afro-Américains, de la classe ouvrière et de la jeunesse. Au demeurant, que la notion de « paix intérieure » permette ou non d’admettre le droit inhérent du capitalisme d’exister sans être importuné, une conclusion s’impose : en pratique, pour l’élite états‑unienne suprématiste blanche, la liberté d’expression et le droit de se rassembler sont tolérés tant qu’ils ne remettent pas en cause le statu quo capitaliste-impérialiste.

En revanche, la Constitution et le système politique cubains sont francs et transparents : ne franchissez pas la ligne rouge que nous avons définie pour défendre notre système socialiste. Mais alors, qu’en est-il de l’atteinte à la liberté d’expression et au droit de se rassembler?

Les autorités locales expliquent ainsi leur décision : « La Constitution de la République a fait l’objet de vastes débats avant d’être approuvée par voie de référendum par 86,85 % des votants. Il s’agit d’une majorité écrasante ayant fait le choix libre et souverain d’un système socialiste, de son caractère irrévocable et du droit de lutter par tous les moyens contre quiconque cherche à renverser l’ordre politique, social et économique établi. » 

L’occasion ratée du anti-communisme

Le chemin a été long et sinueux pour parvenir à cette conclusion sur le plan constitutionnel, mais il a également été soutenu par un niveau considérable d’engagement et de mobilisation de la population. Le premier projet constitutionnel a été soumis à l’ensemble du peuple cubain en 2018. Pendant de nombreux mois, les Cubains ont pu lire l’ébauche constitutionnelle, qui a fait l’objet de 780 suggestions et de 9 600 propositions, dont un grand nombre ont été retenues dans la version finale également présentée au public.

À l’époque, l’Unión Patriótica de Cuba (UNPACU), soit l’un des principaux tenants de la demande d’autorisation de ce mois-ci pour la tenue d’un défilé (qui était également impliquée dans les manifestations des 11 et 12 juillet), avait appelé à un « non massif et retentissant » lors du vote référendaire sur la Constitution, le 24 février 2019.

Comment tout cela s’était-il soldé?

Taux de participation : 84,4 % des votants admissibles

Oui : 86,85 %

Non : 9,0 %

Bulletins blancs ou nuls : 4,5 %

En somme, non seulement l’option du « Non » avait-elle été clairement rejetée, mais le taux de participation s’était même accru par rapport au scrutin précédent lors des élections générales de 2018, alors qu’il s’établissait à 82,9 %. Ainsi, à la volonté manifeste de prendre part pleinement à ce référendum s’ajoutait le désir exprimé d’enchâsser encore plus solidement le socialisme dans la nouvelle Constitution, et même de porter encore plus loin cet objectif. L’idéal du communisme ne figurait toutefois pas dans la première ébauche constitutionnelle transmise aux citoyens pour discussion. Cette omission avait été vertement dénoncée par des blogueurs et des journalistes révolutionnaires. L’auteur de ces lignes était d’ailleurs à La Havane à cette époque et avait été témoin des débats animés qui avaient cours dans les rues et à la télévision sur la question d’exclure ou d’inclure la notion de communisme. Pour la petite histoire, on se rappellera que l’Unión Patriótica de Cuba (UNPACU) avait alors comme cri de ralliement « À bas le communisme! » tout comme d’autres groupes d’opposition des 11 et 12 juillet, et ce mot d’ordre tient toujours en octobre 2021. À cette époque, l’Unión Patriótica de Cuba aurait pu profiter des débats sur le terrain pour faire pencher l’électorat contre l’enchâssement du communisme dans la Constitution. Or, il convient ici de souligner d’un trait aussi gras que possible qu’elle a manifestement raté une belle occasion.

Dans son appel futile en faveur d’un vote pour le « Non » – et probablement inspirée par les graffitis qui tapissaient les murs –, l’Unión a préféré dénoncer le « trucage » des élections et du référendum.

Cependant, l’auteur de ces lignes a pris part à toutes les étapes du processus électoral cubain en 1997‑1998 et peut affirmer qu’il n’y a pas eu la moindre preuve de fraude. En 2010, une autre étude réalisée à Cuba confirmait la même chose.

On reconnaît l’arbre à ses fruits…

Dans leur décision, les autorités municipales locales de La Havane écrivent :

« Les tenants et leurs représentations publiques, ainsi que les liens que certains d’entre eux entretiennent avec des agences ou des organismes subversifs financés par le gouvernement des États‑Unis, traduisent une intention manifeste de favoriser un changement de système politique à Cuba. Voilà qui confirme que le défilé annoncé, dont la structure parallèle engage simultanément d’autres régions du pays, constitue en fait une provocation inscrite dans le cadre d’une stratégie de “changement de régime” à Cuba, et dont la répétition générale a déjà été jouée dans d’autres pays… De plus, dès son annonce, le défilé a reçu le soutien public de législateurs, d’acteurs politiques et de médias états-uniens qui préconisent des mesures contre le peuple cubain et qui tentent de déstabiliser le pays en incitant à des interventions militaires. »

Leur raisonnement est-il un peu tiré par les cheveux? À peine. À titre d’exemple, dans son élan d’enthousiasme visant à donner un visage pacifique aux organisateurs de la manifestation, le journaliste de CNN à La Havane n’a eu aucune gêne à travestir son intégrité journalistique lorsqu’il a remis en question le fondement factuel de la décision du gouvernement cubain. Il a ainsi affirmé que « les responsables du gouvernement cubain sont très clairs sur le refus qui sera opposé à la demande d’organiser une manifestation pacifique le mois prochain ». [traduction] Bien malgré lui, il confirme la thèse voulant que les médias étrangers préconisent des mesures contre le peuple cubain.

Et d’ailleurs, d’autres que lui donnent foi au vieil adage selon lequel « on reconnaît l’arbre à ses fruits… »

Les autorités municipales poursuivent : « Dès qu’il a été annoncé, le défilé a reçu le soutien public des législateurs états-uniens et d’acteurs politiques. » À cet égard, voici effectivement les mots de Ned Price, porte-parole du Département d’État des États-Unis, qui, après avoir appuyé la tenue d’un défilé, s’exprimait lors d’une conférence de presse tenue un peu plus tard dans la journée du 12 octobre à la suite de la décision :

« QUESTION : Oui. Je voulais vous interroger sur la décision du gouvernement cubain d’interdire une manifestation qui était prévue pour le 15 novembre, au motif que les organisateurs de la manifestation seraient soutenus par les États‑Unis dans le but de renverser le régime. Avez-vous un commentaire ou une réponse à ce sujet?

M. PRICE : Eh bien, je serai très clair dès le départ : ce qui s’est passé en juillet, ce qui a transpiré dans les jours et les semaines qui ont suivi, tout cela ne concernait aucunement les États‑Unis. Il s’agissait de la conduite du régime cubain, des aspirations refoulées du peuple cubain pour la liberté, la dignité, la prospérité, pour tout ce qui lui a été refusé par ce régime pendant bien trop longtemps, depuis 1959. » 

Puis, affichant un air impassible, sitôt après avoir nié l’implication des États‑Unis, Ned Price n’a pas hésité à transformer le Département d’État en porte-voix des éléments subversifs. « Nous demandons au gouvernement de La Havane de respecter les libertés fondamentales et les droits fondamentaux du peuple cubain. » 

Le 12 octobre, le Miami Herald rendait compte d’une conférence de presse organisée par l’entremise du système de messagerie Telegram depuis Cuba, qui avait conduit à la demande d’autorisation de tenir un défilé et à laquelle participait le Havanais qui a déposé la demande. C’est très révélateur.

Dans un premier temps, le Miami Herald rappelle avec une douce émotion que « le 11 juillet, des centaines de Cubains sont descendus dans la rue pour demander un changement de régime », ce qui constitue la principale raison ayant incité les responsables municipaux à refuser l’autorisation de défiler.

Ensuite, le journal basé à Miami cite le signataire de la demande : « “Ils se plaignent toujours du ‘blocus’”, a-t-il dit en référence à l’embargo états-unien. “Il n’y a pas de pire blocus que le blocus interne imposé à chaque citoyen cubain dans ce pays.” »  Voilà un aveu clair des motivations de ces individus vraisemblablement apatrides.

Enfin, admirons l’acuité politique des signataires de cette demande, qui semblent parfaitement conscients d’avoir ouvert une brèche en tête de pont parmi la « gauche » aux États-Unis et au Canada, et qui voudraient bien mousser l’affaire. Le Miami Herald cite ce signataire :

« J’en appelle à la gauche mondiale – qui est habituellement complice et qui, malheureusement, se comporte habituellement de manière hypocrite – à leur dire qu’il n’y a rien de tel qu’une dictature de gauche ou de droite, qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises dictatures. Il y a juste des dictatures, tout court, et nous devons nous opposer à toutes, quelle que soit leur couleur politique. » 

En contrepartie, des organismes indépendants de journalisme de surveillance, comme le MintPress News aux États-Unis ou l’initiative socialiste anti-impérialiste The Canada Files au Canada, n’ont pas hésité à s’opposer dans leur pays respectif aux portions de cette « gauche » vendue qui applaudissaient la tentative de « révolution de couleur » du 11 juillet à Cuba.

Quelle leçon auront retenue ces gens alors que l’histoire pourrait se répéter?


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